LA DIFFICULTE’ DE RESTER HOMME (Acte 3)
Eugène Ionesco

TESTO

(Il va fermer la porte à clé, soigneusement, mais avec colère) On ne m’aura pas, moi. (Il s’adresse à toutes les têtes de rhinocéros.) Je ne vous suivrai pas, je ne vous comprends pas! Je reste ce que je suis. Je suis un être humain. Un être humain. (Il va s’asseoir dans le fauteuil) La situation est absolument intenable. C’est ma faute, si elle est partie. J’étais tout pour elle. Qu’est-ce qu’elle va devenir ? Ancore quelqu’un sur la conscience. J’imagine le pire, le pire est possible. Pauvre enfant abandonnée dans cet univers de monstres !
Personne ne peut m’aider à la retrouver, personne, car il n’y a plus personne. (Nouveaux barrissements, courses éperdues, nuages de poussière) Je ne veux pas les entendre. Je vais mettre du coton dans les oreilles. (Il se met du coton dans les oreilles et se parle à lui-même dans la glace) Il n’y a pas d’autre solution que de les convaincre, les convaincre, de quoi ? Et les mutations sont-elles réversibles ? Hein, sont-elles réversibles ? Ce serait un travail d’Hercule, au-dessus de mes forces. D’abord pour les convaincre, il faut leur parler. Pour leur parler, il faut que j’apprenne leur langue. Ou qu’ils apprennent la mienne ? Mais quelle langue est-ce que je parle ? Quelle est ma langue ? Est-ce du français, ça ? Ce doit bien être du français ? Mais qu’est-ce que du français ? On peut appeler ça du français, si on veut, personne ne peut le contester, je suis seul à le parler. Qu’est-ce que je dis ? Est-ce que je me comprends ? (Il va dans le milieu de la chambre) Et si, comme me l’avait dit Daisy, si c’est eux qui ont raison ? (Il se retourne vers la glace) Un homme n’est pas laid, un homme n’est pas laid !  Ce sont eux qui sont beaux. J’ai eu tort ! Oh ! comme je voudrais être comme eux. Je n’ai pas de corne, hélas ! Que c’est laid un front plat. Il m’en faudrait une ou deux, pour rehausser mes traits tombants. Ça viendra peut-être, et je n’aurai plus honte, je pourrai aller tous les retrouver. Mais ça ne pousse pas ! (Il regarde les paumes de ses mains) Mes mains sont moites.
Deviendront-elles rugueuses ? (Il enlève son veston, défait sa chemise, contemple sa poitrine dans la glace) J’ai la peau flasque. Ah, ce corps trop blanc, et poilu ! Comme je voudrais avoir une peau dure et cette magnifique couleur vert sombre, une nudità descente, sans poils, comme la leur! (Il écoute les barrissements) Leurs chants ont du charme, un peu âpre, mais un charme certain!
Si je pouvais faire comme eux. (Il essaye de les imiter) Ahh, ahh,brr ! Non, ça n’est pas ça ! Essayons encore, plus fort ! Ahh, ahh, brr ! non, non, ce n’est pas ça, que c’est faible, comme il manque de vigueur ! Je n’arrive pas à barrir. Je hurle seulement. Ahh, ahh, brr ! Les hurlements ne sont pas des barrissements! Comme j’ai mauvaise conscience, j’aurais dû les suivre à temps. Trop tard maintenant ! Hélas, je suis un monstre, je suis un monstre. Hélas, jamais je ne deviendrai rhinocéros, jamais, jamais ! Je ne peux plus changer. Je voudrais bien, je voudrais tellement, mais je ne peux pas. Je me peux plus me voir. J’ai trop honte ! (Il tourne le dos à la glace) Comme je suis laid ! Malheur à celui qui veut conserver son originalité ! ( Il a un brusque sursaut) Eh bien tant pis ! Je me défendrai contre tout le monde ! Ma carabine, ma carabine ! (Il se retourne face au mur du fond où sont fixées les têtes des rhinocéros, tout en criant) Contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas!

PARAFRASI

Dans Rhinocéros, Béranger e8st le seul personnage qui parvient à résister au mimétisme et à la violence collective. Dans ce monologue final il se retrouve seul, face à un miroir et il s’interroge:

On ne m’aura pas, moi: il a un dernier sursaut d’orgueil et il annonce sa résistance. Bérenger refuse de suivre les rhinocéros affirmant sa dignité humaine.

C’est ma faute, si elle est partie: Bérenger se reproche d’être la cause du départ de sa fiancé et constate son impuissance à la retrouver puisqu’il est demeuré seul.

Pauvre enfant abandonnée dans cet univers de monstres !: le prix de sa survie est son exclusion sociale. Exclusion qui a pour fonction morale d’indiquer au public une voie alternative au mimétisme et à la violence insensée de la foule.

Personne ne peut m’aider:il souligne la solitude du " résistant " qui a vu, inexorablement, ses derniers compagnons l'abandonner.

Il n’y a pas d’autre solution que de les convaincre: la solution serait de convaincre les hommes à ne pas se laisser gagner par la mutation ou bien à revenir en arrière.

Ce serait un travail d’Hercule: mais c’est un travail surhumain et surtout il faut avoir un langage commun pour communiquer

je suis seul à le parler: il se rend compte qu’il est encore le seul à parler le français.

comme me l’avait dit Daisy: Il a des doutes. Il n’est plus sure.

Ce sont eux qui sont beaux: gagné par le doute Bérenger semble-t-il affirmer la beauté des rhinocéros et sa propre laideur.

comme je voudrais être comme eux: il souhaite, comme eux, avoir une ou deux cornes, la peau rugueuse, et pousser des barrissements.

Ahh, ahh,brr: Béranger essaye d’imiter les rhinoceros.

Les hurlements ne sont pas des barrissements: Il croix d’opérer sa propre transformation en barrissant mais sons succès.

j’aurais dû les suivre à temps: Il se désespère de ne pas avoir fait ce choix plus tôt.

Eh bien tant pis ! Je me défendrai contre tout le monde !... Je suis le dernier homme:La conclusion présente un Bérenger, avant hésitant et déchiré qui à un ultime sursaut de résistance qui fait de lui " le dernier homme "...


Analisi e commento:

Dans ce monologue final, Bérenger s'interroge. Il est enfermé dans une chambre dont il ferme soigneusement toutes les issues. Il a orné le mur du fond avec les tètes des rhinocéros qu’il a tué en guise de trophées de chasses.
Les déplacement à l’intérieur de la chambre provoque son agitation: il est en colère, il s’assied, il se lève pour se mettre du coton dans les oreilles. La glace joue un rôle important: Bérenger s’y regarde et il s’en détourne alternativement, enfin il parle à l’ensemble des rhinocéros absents.
Il passe de la révolte orgueilleuse de rester un homme à tout prix, à la tentation de devenir semblables aux autres en reniant l’originalité de son humanité.
La farce tragique se révèle dans les tentatives d’imiter le barrissement des animaux, lorsque il met du coton dans les oreilles devant la glace jusqu’à arriver au moment où il se compare aux animaux en leur conférant une suprématie qu’il ne peuvent pas avoir.
La thèse développée est celle qu’il est difficile de conserver sa propre individualité face au conformisme généralisé; les rhinocéros symbolisent tout ce qui rapproche l’homme de l’animal: comportement grégaire, violence, communication primitive.
Ce monologue occupe donc la place dévolue au dénouement et prend l'expression de la parole solitaire, la prise de parole du « dernier homme » en quête de valeurs humaines et marque l'accession du personnage au statut de héros.

Rhinocéros: Rhinocéros est créée en 1959 à Düsseldorf. À Paris, l'année suivante, Jean-Louis Barrault assure sa consécration. Cette pièce traite du totalitarisme, de l'endoctrinement et de la fanatisation qui agissent souvent comme une véritable épidémie. Pour rendre sensible ce phénomène, Ionesco en propose une illustration concrète : les petits fonctionnaires d'une ville imaginaire se métamorphosent les uns après les autres en rhinocéros. Protégés par leur carapace et armés de leur corne, ils détruisent systématiquement tout ce qui ne leur ressemble pas. Seul un marginal alcoolique, Bérenger, fait figure de conscience isolée qui résiste à cette contamination. Aux yeux du dramaturge, il représente la "conscience universelle" dans son isolement et sa douleur.

Metrica:

Pièce "en trois actes et quatre tableaux"