UNE MASSE AFFAMEE
Emile Zola

TESTO

Mme Hennebeau, très pâle, prise d'une colère contre ces gens qui gâtaient un de ses plaisirs, se tenait en arrière, avec un regard oblique et répugné ; tandis que Lucie et Jeanne, malgré leur tremblement, avaient mis un oeil à une fente, désireuses de ne rien perdre du spectacle.
Le roulement de tonnerre approchait, la terre fut ébranlée, et Jeanlin galopa le premier, soufflant dans sa corne.
– Prenez vos flacons, la sueur du peuple qui passe ! murmura Négrel, qui, malgré ses convictions républicaines, aimait à plaisanter la canaille avec les dames.

Mais son mot spirituel fut emporté dans l'ouragan des gestes et des cris. Les femmes avaient paru, près d'un millier de femmes, aux cheveux épars, dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d'enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l'agitaient, ainsi qu'un drapeau de deuil et de vengeance. D'autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons ; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre.

Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d'un seul bloc, serrée, confondue, au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes, ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant la Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme l'étendard de la bande avait, dans le ciel clair, le profil aigu d'un couperet de guillotine.

– Quels visages atroces ! balbutia Mme Hennebeau.
Négrel dit entre ses dents :
– Le diable m'emporte si j'en reconnais un seul ! D'où sortent-ils donc, ces bandits-là ?
Et, en effet, la colère, la faim, ces deux mois de souffrance et cette débandade enragée au travers des fosses, avaient allongé en mâchoires de bêtes fauves les faces placides des houilleurs de Montsou. A ce moment, le soleil se couchait, les derniers rayons, d'un pourpre sombre, ensanglantaient la plaine. Alors, la route sembla charrier du sang, les femmes, les hommes continuaient à galoper, saignants comme des bouchers en pleine tuerie.

– Oh ! superbe ! dirent à demi-voix Lucie et Jeanne, remuées dans leur goût d'artistes par cette belle horreur.
Elles s'effrayaient pourtant, elles reculèrent près de Mme Hennebeau, qui s'était appuyée sur une auge. L'idée qu'il suffisait d'un regard, entre les planches de cette porte disjointe, pour qu'on les massacrât, la glaçait. Négrel se sentait blêmir, lui aussi, très brave d'ordinaire, saisi là d'une épouvante supérieure à sa volonté, une de ces épouvantes qui soufflent de l'inconnu. Dans le foin, Cécile ne bougeait plus. Et les autres, malgré leur désir de détourner les yeux, ne le pouvaient pas, regardaient quand même.
C'était la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous, fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois. Il promènerait des têtes, il sèmerait l'or des coffres éventrés. Les femmes hurleraient, les hommes auraient ces mâchoires de loups, ouvertes pour mordre. Oui, ce seraient les mêmes guenilles, le même tonnerre de gros sabots, la même cohue effroyable, de peau sale, d'haleine empestée, balayant le vieux monde, sous leur poussée débordante de barbares. Des incendies flamberaient, on ne laisserait pas debout une pierre des villes, on retournerait à la vie sauvage dans les bois, après le grand rut, la grande ripaille, où les pauvres, en une nuit, efflanqueraient les femmes et videraient les caves des riches. Il n'y aurait plus rien, plus un sou des fortunes, plus un titre des situations acquises, jusqu'au jour où une nouvelle terre repousserait peut-être. Oui, c'étaient ces choses qui passaient sur la route, comme une force de la nature, et ils en recevaient le vent terrible au visage.
Un grand cri s'éleva, domina la Marseillaise:
Du pain ! du pain ! du pain !

PARAFRASI

La Sig.ra Hennebeau, molto pallida, in preda alla rabbia contro questa gente che rovinava uno dei suoi piaceri, si teneva indietro, con un'occhiata di traverso e con ripugnanza; mentre Lucia e Jeanne, nonostante il loro tremito, spiavano da una fessura, desiderose di non perdere nulla dello spettacolo.
Il suono si avvicinava, la terra fu scossa, e Jeanlin (ragazzino di 12 anni) cammina per primo, soffiando nel suo corno.
- Prendete le vostre bottiglie, il sudore del popolo che passa! Mormora Négrel che, nonostante le sue convinzioni repubblicane, si divertiva a scherzare la canaglia con le signore.

 Les femmes sont en tête de la manifestation. Elles apparaissent en premier parce que elles sont affamées, tout comme leurs maris, et se sont elles qui poussent leurs maris à faire la grève. Comme dans beaucoup de conflits, leur motivation et leur ténacité est plus forte. De plus c'est un point stratégique: Les soldats hésiteront plus à tirer sur des femmes.
Ma la sua parola spiritosa fu portata via nell'uragano dei gesti e delle grida.
Le donne erano apparse (Les femmes avaient paru: Elles arrivent d'un seul coup. Le plus-que-parfait marque l'antériorité d'une action passée par rapport à une autre. Celle-ci est terminée, donc les femmes apparaissent brusquement, sans que les bourgeois les aient vues arriver. Parurent ou paraissaient seraient déplacés dans ce contexte), vicino a un migliaio di donne (un millier de femmes : et sont très nombreuses car femmes est répété deux fois et l'adjectif numéral près d'un millier le confirme), dai capelli sciolti (aux cheveux épars: On voit aux caractéristiques physiques des femmes que la misère leur à fait perdre leur pudeur. En effet leurs cheveux sont en désordre. Ce détail renvoiE au champ lexical de l'animalité) per la corsa, dagli abiti stracciati che mostrano la pelle nuda,  dalle nudità di femmine (aux ….peau nue: On insiste sur leur nudité. Elles sont ainsi animalisées, la misère les déshumanise) stanche di partorire bimbi destinati a morire di fame (lasses…faim: on a une antithèse entre enfanter et meurt de faim. Cela signifie qu'ils sont à peine nées, ils sont déjà condamnés). Alcune (On distingue trois groupes de femmes : "quelques-unes", "d'autres", "tandis que". Le premier est constitué de femmes matures qui tiennent les enfants) tenevano (tenaient: Il y a une gradation des verbes "tenait, soulevait, agitait" ce qui symbolise l'intensification de la colère) il loro piccolo tra le braccia, lo sollevavano, lo agitavano, come una bandiera di lutto e di vendetta (Les enfants sont comparés à un drapeau de deuil et de vengeance). Altre, più giovani, con gole gonfiate di guerriere (gorges gonflées de guerrières: Pour introduire le second groupe, les jeunes, Zola utilise le mythe des amazones; "les gorges gonflées de guerrières" toutes ces consonnes dures montrent l'agressivité des femmes en fonction de leur âge, leur violence est mis en évidence par les allitérations gutturales et l'allitération en b "brandissait leur bâton"), brandivano bastoni; mentre le vecchie, spaventose, urlavano così tanto, che le corde dei loro colli scarni sembravano rompersi. (Les vielles aussi sont violentes, les cordes de leur cou ressortent tellement qu'elles hurlent).

Alors que la masse des femmes nous paraissait abondante, celle des hommes est encore pire car il y en a deux milles soit deux fois plus que de femmes.
E gli uomini si riversavano (Le verbe "déboulèrent" signifie qu'ils arrivent d'un seul coup. Notez le verbe débouler appartenant au lexique de la chasse. Les passés simples marquent la rapidité, la soudaineté de l'action.) dopo, duemila furiosi dei giovani manovali addetti ai carrelli, dei minatori che tagliano il carbone, dei carpentieri (Tous les mineurs manifestent : donc, Zola  montre leur unanimité en citant leur fonction précises dans la mine), una massa compatta che rotolava di un solo blocco (un seul bloc: la phrase est construite de telle façon qu'on ait l'impression de succession qui n'en finit pas), stretta, confusa, al punto che non si distinguevano né i calzoncini smunti, né i maglioni di lana in brandelli (On retrouve des liens avec les femmes par l’utilisation de synonymes loques et guenilles) cancellati nella stessa uniformità terrosa (uniformité terreuse: la foule gomme toute individualité aux hommes).
Gli occhi bruciavano, si vedevano soltanto i fori delle bocche nere (trous…noires: Les métonymies réduisent les mineurs à un cri et à un regard. Les hommes n'ont plus d'individualité et leur description se limite aux yeux qui ont tous la même expression et aux bouches". La foule devient un personnage. Le champ lexical de l'uniformité : "masse compacte", "d'un seul bloc", "confondue", "uniformité »), che cantano la Marsigliese (Il y a des milliers de bouches mais un seul chant : La Marseillaise), le cui strofe si perdevano in un muggito, (mugissement: un autre lien avec les femmes est donnée par la déshumanisation soit minéral, quand on parle de « bloc compact » pareil a un rocher, soit animal avec l’utilisation de "mugissement et sabot") confuso, accompagnato dal rumore degli zoccoli (sabots) sulla terra dura. Sopra le teste, fra l’innalzamento scomposto (hérissement: evoca gli aculei del porcospino - hérisson) delle sbarre di ferro, un’ ascia passò (hache: symbolise la mort et la coupure), portata (le passé simple souligne la rapidité du mouvement) molto diritta; e questa unica ascia,  era come lo stendardo della banda, nel cielo chiaro, il profilo acuto di una lama di ghigliottina (Il y a un contraste entre les hommes et les femmes. Car elles tiennent la vie, l'enfant, alors que les hommes tiennent la mort. Zola veut superposer les images de la révolution sur cette grève car cette révolte de la faim peut se transformer en Révolution. Notons que Zola glisse quelques mots extraits de la Marseillaise comme «mugissement», et «étendard»).

 - Che visi atroci! balbettò (balbutia: Il y a un contraste avec le mouvement des mineurs et l'immobilité des bourgeois. Il y a le vocabulaire du langage, qui prouve qu'il ne peuvent à peine parler tant ils ont peur : "balbutier", "dit entre ses dents"). la signora Hennebeau (Mme Hennebeau: Les bourgeois sont individualisés : le narrateur donne leur nom).
Négrel disse tra i denti:
- Il diavolo mi porti via se ne riconosco uno solo! Da dove escono dunque, questi banditi?
E, infatti (en effet: introduit un commentaire de la part du narrateur. Pour le narrateur l’animalisation n'est pas la conséquence du regard déformé et subjectif des bourgeois mais c'est la misère qui transforme les êtres humains en bêtes sauvages) la rabbia, la fame, questi due mesi di sofferenza e questo scompiglio arrabbiato attraverso i pozzi, avevano prolungato in mandibole di fiere le facce placide dei minatori di carbone di Montsou (mâchoires…de Montsou: transfiguration des mineurs, les mineurs n'ont même plus de visage. Il n'y a plus que des mâchoires).  In quel momento, il sole tramontava, gli ultimi raggi, di un porpora scuro, insanguinavano (ensanglantaient)la pianura. Allora, la strada sembrò trasportare (come un fiume) del sangue (sang), le donne, gli uomini continuavano a marciare, sanguinanti (saignants) come macellai in pieno macello (Il s'agit plus d'un tableau que de la réalité. Zola introduit une dimension fantastique renforcée par la description du paysage basée sur la monochromie du rouge, la couleur du sang. Le rouge domine. On a en effet trois allusions au sang dus au coucher du soleil.  Nous sommes en présence d'un « vision » de Zola, peut-être une vision prophétique qui signifie la mort d'une classe, la fin des bourgeois. Cette vision prémonitoire, a pour but de susciter une prise de conscience, afin d'éviter à cette vision de se réaliser : l'exploitation du peuple et sa trop grande misère ne peuvent qu'entraîner l'écroulement de la civilisation dans un bain de sang).

- Oh! superbo! (Oh superbe: semble paradoxal mais, elles s'extasient certainement du coucher de soleil) dicono sottovoce Lucia e Jeanne, agitate dal loro gusto di artiste da questo bel orrore (belle horreur = oxymore. Une antithèse en deux mots, féminin et masculin). Si spaventarono tuttavia, e arretrarono vicino alla signora Hennebeau, che si era sostenuta ad un abbeveratoio. L'idea che bastava uno sguardo, tra le tavole di questa porta separata, perché le massacrassero, la gelava. Négrel si sentiva impallidire, anche lui, molto bravo di solito, bloccato là da uno spavento superiore alla sua volontà, uno di quegli spaventi che vengono dall’inconscio. Nel fieno, Cécile non si muoveva più. E gli altri, nonostante il loro desiderio di deviare gli occhi, non potevano, guardavano comunque.
Era la visione rossa della rivoluzione che li avrebbe portati via tutti (emporterait: le conditionnel présent met en valeur un avenir possible. Zola veut faire peur aux bourgeois sans toutefois envisager cet avenir comme certain), inevitabilmente, in una sera sanguinante di questa fine di secolo. (oui: le “oui” fait partie du discours du narrateur. Il s'est laissé emporté par son ardeur), una sera, il popolo liberato,  marcerà così sulle strade; e scorrerà il sangue dei borghesi. Cammineranno con teste tagliate, sparpaglieranno l'oro delle casse sventrate. Le donne urleranno, gli uomini avranno le mandibole di lupi, aperte per mordere. , saranno gli stessi stracci, lo stesso tuono di grandi scarpe, lo stessa ressa terribile, di pelle sporca, d'alito, che spazza via il vecchio mondo, sotto la loro spinta traboccante di barbari. Incendi fiammeggeranno, non lasceranno una pietra delle città, si ritornerà alla vita selvaggia nei boschi, dopo il grande calore, la grande abbuffata, dove i poveri, in una notte, logorerebbero le donne e svuoterebbero le cantine dei ricchi. Non ci sarà più nulla, non un soldo delle fortune, non un titolo delle situazioni acquisite, fino al giorno in cui una nuova terra rinascerà forse. , erano queste cose che passavano sulla strada, come una forza della natura, e ne ricevevano il vento terribile sul viso. Un grande grido si alzò, predominò sulla Marsigliese: - Del pane! del pane! del pane! (Du pain ! du pain ! du pain !: Le slogan final revient tout au long du chapitre : il résume à lui seul les raisons du comportement des mineurs. Ils ne veulent pas d'une révolution. Le cri domine d'ailleurs la Marseillaise).


Analisi e commento:

Thème: Extrait : Une masse affamée -Germinal (Vème partie, chapitre 5), 1885.
Zola fait partie de l'école naturaliste. Il est séduit par la thèse selon laquelle les comportements humains dépendent de l'hérédité et de l'influence du milieu. Il décide de prouver cette hypothèse en écrivant des romans naturalistes. Les plus importants sont ceux que contient le cycle des Rougon Macquart. L'histoire d'une famille qui est poursuivit de tares telles que l'alcoolisme ou l'adultère. Germinal raconte les périples d'un des derniers enfants de cette famille, Etienne Lantier, grâce à qui on découvre l'univers cruel des mineurs. Germinal est le deuxième roman ouvrier de Zola; ses convictions socialistes y apparaissent nettement. C’est le chef-d’œuvre de l’écrivain.
Le roman Germinal est une peinture puissante de la vie misérable des mineurs de la deuxième moitié du XIXe siècle. Il met en scène un conflit dramatique entre les mineurs en grève et la compagnie minière. L'action se déroule dans le bassin houiller du nord de la France, lors d'une grève provoquée par la réduction des salaires.
Dans ce cinquième chapitre de la cinquième partie les mineurs sont en grève depuis six semaines. Trois mille grévistes affames parcourent la plaine pour demander la solidarité des ouvriers des autres mines, ils vont alors de fosses en fosses pour attaquer ceux qui travaillent encore. Des bourgeois (M.me hennebeau, la femme du directeur de la mine, et d’autres amis) surpris par ce défilé d'enragés se cachent dans une grange et, à travers les planches de l’étable, ils regardent passer la foule. C'est par le témoignage de ces bourgeois que ce défilé nous est décrit.

Metrica:

Prose