CHANT D’AUTOMNE
Charles Baudelaire
- Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres;
- Adieu, vive clarté de nos étés trop courts!
- J'entends déjà tomber avec des chocs funèbres
- Le bois retentissant sur le pavé des cours.
- Tout l'hiver va rentrer dans mon être : colère,
- Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
- Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
- Mon coeur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé.
- J'écoute en frémissant chaque bûche qui tombe;
- L'échafaud qu'on bâtit n'a pas d'écho plus sourd.
- Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
- Sous les coups du bélier infatigable et lourd.
- Il me semble, bercé par ce choc monotone,
- Qu'on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
- Pour qui ? - C'était hier l'été ; voici l'automne!
- Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
- J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
- Douce beauté, mais tout aujourd'hui m'est amer,
- Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l'âtre,
- Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.
- Et pourtant aimez-moi, tendre coeur ! soyez mère,
- Même pour un ingrat, même pour un méchant;
- Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère
- D'un glorieux automne ou d'un soleil couchant.
- Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide!
- Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
- Goûter, en regrettant l'été blanc et torride,
- De l'arrière-saison le rayon jaune et doux!
Bientôt: Au premier mot, on apprend que quelque chose va arriver.
Les mots avec lesquels Baudelaire s’exprime permettent de comprendre que sa vision des choses est celle d’un homme qui souffre: Le verbe "plonger", dans la première phrase, indique l’expression d’une chute; l’allusion aux "ténèbres", donne une image obscure de sa chute; "Adieu", et "chocs funèbres" laissent penser à la mort. "Adieu", marque le regret lié à la perte de l’été."déjà" marque le pessimisme du poète.L'image du bois représente l'hiver et il redoute, à travers l’hiver, le spectre de la mort.
A la 2ème strophe le passage de l'automne à l'hiver est très rapide, et inattendu. Baudelaire sait ce que l’hiver produit de néfaste sur lui. Vers 5-6: enjambement - colère...horreur: Ces mots représentent l'humeur caricaturée de l'hiver .Labeur dur et forcé: On a l'impression de travailler plus et quand on finit il fait nuit. Le soleil représente le cœur de Baudelaire. Sa glaciation signifie l’astreinte du poète à l’inertie. enfer polaire: oxymore. Mon....glacé: le vers 8 est la première allusion à l'amour.
L'échafaud...sourd, le vers 10 est une métaphore: le bruit du claquement de la tête du comdamné a pour le poète le même bruit de la bûche qui tombe pour brûler (vers 9). Un morceau de bois (bûche) prend beaucoup d'importance; il est non seulement la chaleur, mais la vie. Les vers 11 et 12 sont une autre métaphore de l'esprit de Baudelaire qui dit ressembler à une tour qu'on abat avec des coups (coups durs de l'hiver; peuvent être moraux, financiers,…).
Cette métaphore continue à la strophe suivante; le choc devient, monotone, trop habituel, sans oublier la mort si présente (cercueil).
Pendant ces dernières strophes, on se croyait en hiver, mais ce n'est que l'automne: montre combien le temps est long, avec le souvenir de l'été et l'appréhension de l'hiver.
ni le boudoir, ni l'âtre, : Métonymie. Baudelaire perdu dans son malheur cherche quelque réconfort que la femme ne peut lui donner, car il a besoin de cette chaleur de la nature; le soleil, donc l'été.
Vers 22: Appel au secours, de besoin d'aide. Mère: besoin d'amour maternel, besoin d'affection et protection. Amante: Besoin de passion, de plaisir. Sœur: besoin de complicité. Ephémère: Besoin d'un moment qui casse la monotonie.
Ce dernier quatrain, plein d'exclamation est comme une révolte, et un dernier espoir vers le beau temps.
La tombe attend…: A nouveau la mort, proche tout au long du poème.